mercredi 7 septembre 2011

Les chroniques du chien errant : «Il était une fois Lola» par Sally Lambert, blogueuse à Kuujjuaq


Pour une seconde fois, nous prêtons la tribune à Sally Lambert, blogueuse à Kuujjuaq pour  cette deuxième de «Les chroniques du chien errant».

Les chroniques du chien errant, no2
Il était une fois Lola
Le chiot n'avait que quelques mois lorsqu'on qu'on le trouva.  Séparée de sa mère accidentellement ou intentionnellement, la boule de poils noirs s'était réfugiée sous une maison dans le quartier du centre-ville de Kuujjuaq.  Elle était en train de mourir de froid lorsque l'occupante de la maison la découvrit.  Transportée à l'intérieur,  la petite chose affaiblie dormit 24 heures durant.

Dans les jours qui suivirent, pour éviter tout problème avec certains locaux à qui il arrive parfois de soupçonner les qallunaaqs (non inuit) de vouloir voler leurs chiens, la jeune femme fit diffuser une annonce sur les ondes de la radio communautaire de Kuujjuaq.  Le message circula et quelques jours plus tard, les propriétaires se manifestèrent: oui, un chiot correspondant à la description de la petite femelle manquait à l'appel.  Non, on ne voulait pas la récupérer.

Possédant déjà des chiens, celle qui avait accueilli la petite chienne pouvait difficilement envisager d'adopter une bête supplémentaire.  C'est alors qu'elle décida de jouer un rôle qui aurait pu lui valoir un Oscar: celui d'entremetteuse.

La petite chienne noire reprenait des forces lorsque la jeune femme invita des amis chez elle.  Avec escient, elle convia Frank à se joindre au groupe.   Le casting était parfait: elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il aimait les bêtes et qu'il serait préoccupé par le sort du chiot.  Il ne restait qu'à peaufiner la mise en scène.

Frank, un amoureux des animaux, est établi au Nord depuis plus de 5 ans.  Après avoir passé 1 année à Iqaluit, il  accepta un poste de gestionnaire à Kuujjuaq  où il vit depuis 2007.  Au fil des ans, il  a appris à connaître les Inuits.  Il sait que la relation qu'ils entretiennent avec les bêtes, particulièrement les chiens, est totalement différente de celle des blancs.  Frank observe sans juger: le Nord a sa propre culture, ses propres mœurs.

Comme l'espérait la jeune femme, le chien qui n'était encore qu'un bébé vola la vedette.  Frank le cajola, puis joua avec lui une partie de la soirée jusqu'à ce que, fourbu, le chiot s'endorme sur ses genoux.  Son amie n'avait plus qu'à jouer le dernier acte: convaincre Frank d'adopter la petite bête.  Malgré ses appréhensions, ce fut chose relativement facile puisque Frank et la boule de poils tombèrent mutuellement amoureux.  Ce soir-là, le jeune homme d'à peine 25 ans et la petite chienne qu'il baptisa Lola commencèrent une nouvelle vie qui s'annonçait heureuse. 

Les mois passèrent et Lola grandit, devenant une chienne enjouée et exubérante.  Avec sa fourrure mince et son statut de princesse, elle dormait à l'intérieur, choyée.  Pour lui faire dépenser son énergie débordante, Frank l'amenait régulièrement faire de longues promenades sur la plage de la rivière Koksoak.

Mais un jour, alors que Frank l'avait attachée à l'extérieur, elle cassa sa chaine et s'élança droit devant, pleine d'enthousiasme et d'insouciance.  Pour sa première fugue, Lola n'eut pas de chance:  au même moment, une voiture s'engagea dans la rue et la heurta.  Alerté par les cris, Frank accourut et trouva la chienne grièvement blessée: la peau de son crâne était fendue et elle avait des fractures aux 2 pattes, dont 1 ouverte. 

Tout alla ensuite très vite.  Frank réussit à rejoindre un vétérinaire dont le bureau était à proximité de l'aéroport Pierre-Elliot-Trudeau et qui accepta de recevoir Lola en urgence.  Il trouva une grande cage et demanda à une amie qui s'apprêtait à prendre le prochain vol de First Air vers Montréal, d'apporter Lola avec elle.  D'autres amis allaient ensuite  transporter la cage de Dorval à la clinique.

Frank déboursa près de $2000 en honoraires et en frais de transport pour faire soigner Lola.  Chaque jour, pendant 1 mois, il dut changer les pansements et administrer des antibiotiques à son chien. 

Lola s'est complètement remise de ses blessures et, à voir ses débordements de joie, elle n'a gardé aucune séquelle de son accident.  Elle vit heureuse et comblée auprès de Frank et de Millie, l'amie qui s'était chargée de son transport à Montréal.

S'il est vrai que le sort des chiens errants est souvent cruel et sans issue, il arrive parfois que certains croisent sur leur chemin un être qui transformera leur destinée.

Je souhaite à toutes les Lola, un Frank sur leur route…